« Siyin » et « Shosho », deux représentations dans le cadre du Festival cette année, ont laissé le public ébahi devant tant de spontanéité et de création. Le jeu de corps, la musique, l’appropriation de l’espace, chaque geste, tout a été un appel à un dépassement de la pensée courante, pour percer l’inimaginable.

Dans la cour arrière de la FOKAL, une jeune danseuse de Singapour nommée Sara Léah Tan Siyin, accompagnée de Franck Micheletti, son chorégraphe et qui est aussi danseur, a utilisé son corps pour écrire une poésie que chacun pouvait interpréter à sa manière. Du début de la prestation, où Sara a semblé être une machine qui s’est mise en marche pour s’immobiliser par la suite, et puis recommence pour s’arrêter à nouveau, puis recommence encore et encore, jusqu’au dernier moment où nous avons pu admirer le mouvement de la robe suspendue, qui grâce au vent flotte, le temps, l’espace, l’énergie, la sensation, la musicalité constituent les ingrédients du mixage qui a coupé le souffle de l’assistance. Le mercredi 29 Novembre, Siyin, qui selon le chorégraphe-danseur est une proposition d’un livre composé de petits récits de la vie de cette dernière, a totalement renversé le public. Des commentaires ont surgit de partout, une preuve que cette forme de danse, quoique un peu nouveau pour certains d’entre nous en Haïti, ne laisse personne indifférente. Que l’on soit fan de la danse moderne ou classique, que l’on soit de cette catégorie qui applaudit l’esprit créatif, qui aime la nouveauté, face à ce corps et ces mouvements ordinaires, exercés pourtant avec une telle volonté de liberté, on ne pourrait fuir le débat engagé entre les gens de l’assistance après la représentation.

Franck Micheletti pour sa part, avec son corps flexible qu’il joue dans tous les sens, avec des objets de toutes sortes dont il s’est servi pour produire une musique originale, sans oublier ses locks qui retombent jusqu’à ses fesses, a entrainé le public dans un labyrinthe d’émotions, le samedi 2 Décembre. Entre stupeur, incompréhension, amusement, et peur, certains sont restés, durant les deux heures d’affilées, la bouche ouverte et les yeux rivés sur le danseur guettant son moindre geste. Alors pirouettes, saut par-ci et par-là, imitation d’un singe accroché à une branche, l’air d’une âme recherchant le bonheur dans chaque note, dans chaque souffle, Franck a montré que la danse ne doit pas accepter les limites ; l’art en soi se doit d’être libre. De concert avec le professeur haïtien Etzer Pierre, le chorégraphe a jonglé entre mouvement, musique et texte pour présenter sa création a un public composé autant de jeunes que d’adulte, ce qui a été très intéressant. Voir des gens de toutes tranches d’âge s’interroger tous en même temps, partager entre l’habituel et l’inattendu, découvrir un mélange de nature et d’imagination, peut se révéler être un tableau sensationnel.

Ces deux représentations montrent la danse contemporaine comme étant ce qu’elle est ; un refus de barrière, d’interdiction, un oui à l’imagination, un appel à l’esprit créatif. Comme toutes les autres catégories d’art, la danse a connu, après la période moderne qui avait remplacé le temps des classiques vers les années 1960, ce moment où la liberté a frappé aux portes des auteurs, créateurs, écrivains, danseurs etc. Ce moment où l’espace s’est vu réapproprié, où le temps a été redéfini pour donner un sens à la recherche, aux créations. Alors la contemporanéité dans la danse a ouvert la porte aux esprits libres et créateurs, et les places publiques, les rues, les parcs sont devenus des lieux de représentation de la danse.

Nombreux s’inquiètent au sujet de cette nouvelle forme de danse qui tend à remplacer la danse classique et moderne, mais il important de noter que l’art ne saurait être statique. On ne peut s’arrêter à une forme d’art et se dire que le monde a fini de créer, d’imaginer, d’inventer. L’art n’est pas sensé avoir de limite. Il doit être immense et ouvert sur tous les horizons. L’art est création, action, corps, âme, couleur, mouvement, un tout, un mélange. Alors, il nous faut une largesse d’esprit pour appréhender les disciplines de l’art, il nous faut nous ouvrir pour comprendre les dimensions artistiques d’une prestation quand on parle de peinture, de musique, ou encore de danse contemporaine. Dans « Le temps retrouvé », Marcel Proust écrit :“Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous-même. (…) Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et, autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous voyons de mondes à notre disposition »

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