
Syto Cavé, un mapou au feuillage scénique
En marge du cocktail de presse donné par l’Association Quatre Chemins, la semaine dernière, on a rencontré Syto Cavé, ce poète, nouvelliste et dramaturge à la fois. Aussi loin que remontent nos souvenirs, le même Syto des Vendredis littéraires qui lisait à haute voix des vers, un verre de rhum pétillant de l’or poétique, une cigarette grillée d’un feu rouge au bout des doigts, était devant nous, confortablement assis. Bien à son aise, nous le retrouvions avec le même bagout et la même fraicheur d’esprit.
Élégamment vêtu d’un gilet tranchant sur une chemise bleu, l’auteur de Kavalye Polka remonte le temps des souvenirs. Il revient sur ses débuts dans le théâtre à New York, où il a rencontré le comédien Hervé Denis, et avec qui il allait nouer une grande amitié et une merveilleuse collaboration. Il se rappelle ses rencontres avec Hervé dans le Big Apple et la joie que ce dernier éprouvait toujours de mettre en scène ses pièces. « Nos rapports se sont resserrés et on a travaillé pendant trois ans à New York », se remémore l’homme de théâtre.
Éloigné de sa terre natale à cause de la dictature des Duvalier, Syto n’a jamais été aussi proche de sa patrie. Ses pensées s’envolaient toujours vers la Cité des poètes, et Port-au-Prince, sa ville d’accueil. De retour en Haïti, au début des années 80, l’ancien élève du Lycée Pétion s’est laissé rattraper par sa passion. Dans le même élan, Il a continué sa collaboration avec Hervé Denis qui lui a permis de se lier avec tout un réseau de femmes et d’hommes de théâtre.
Un temps béni du théâtre en Haïti
Syto Cavé garde encore à l’esprit ce moment béni. C’était le temps où la vie culturelle bouillonnait à Port-au-Prince. Dans ses yeux brillent les souvenirs d’autrefois quand il raconte : « C’est à cette époque que j’ai écrit Kavalye Pòlka que Hervé Denis a joué avec François Latour. Bien avant j’avais écrit une pièce avec Lyonel Trouillot et Pierre-Richard Narcisse. Hervé avait mis en scène ma pièce qui s’appelle La fillette couverte de paille. C’était une expérience très enrichissante. Je crois que Latour a permis au théâtre haïtien de sortir de l’enfermement. Malgré les temps durs du duvaliérisme, il a pris beaucoup de risques en jouant « Les Rosenberg ne doivent pas mourir », les pièces de Frankétienne comme Pèlen tèt et Bouki nan paradi de Franck Fouché »
Pour Syto, François Latour s’est battu pour un théâtre engagé. Il a profité de l’occasion pour saluer la mémoire de ces deux amis : Hervé et François, sans oublier Théodore Beaubrun alias Languichatte Débordus. Grâce à ces icônes, un chemin s’est tracé pour d’autres artistes qui font perdurer cette tradition.
Un théâtre de résistance
Le théâtre haïtien résiste malgré cette crise multidimensionnelle qui frappe notre pays. Syto Cavé, pleinement conscient de ce fait, déclare : « C’est louable que le festival Quatre Chemins existe et continue après toutes ces années, malgré vents et marrés. C’est impressionnant. Je crois que les gens trouvent à voir et à penser, à sortir de la routine, de l’emprisonnement ; cela stimule à un effort de dépassement de soi, à un effort de rupture avec ce que nous vivons et à convoquer le public à un autre univers, un autre pays, un pays qui mérite mieux que ce qu’il est aujourd’hui. »
Après avoir parcouru des kilomètres d’expériences avec ce festival, Styto Cavé fait un panorama de cet événement majeur du pays dont Junior Régis est le directeur artistique. Le ton philosophe, il déclare : « Quatre chemins est le lieu par excellence d’une rencontre. On parle de quatre chemins, de quatre points cardinaux, de quatre chemins, c’est vraiment le lieu d’une rencontre complexe. Toutes les questions peuvent se poser. Un lieu de fermentation de la pensée du monde et de la diversité. Nous n’allons pas nous laisser emprisonner dans un moule, dans un pôle, nous devons casser les moules vers d’autres lieux à créer »